Autocad VS Illustrator : Quel logiciel pour le dessin archéologique ?

           Si depuis plus deux décennies, le logiciel de dessin de la suite Adobe a permis de remplacer les mises au net à l'encre et les hachures autocollantes dans les travaux de restitution archéologique, le logiciel phare de la société Autodesk, Autocad, s'est fait un nom et une place dans la boîte à outils numériques des archéologues.

Doit-on pour autant plonger, tête baissée, dans la formation sur Autocad sous prétexte qu'il est plus récent ou plus complet ? Est-il vraiment nécessaire de se former sur ce type de logiciel en archéologie actuellement ? Illustrator ne pourrait-il pas se transformer au fil des années vers un logiciel semblable à Autocad ? Autocad sait-il faire aussi bien qu'Illustrator ? Mais peut-on vraiment les comparer au final ?

Autant de questions auxquelles je vais essayer d'apporter quelques réponses ...


Tout d'abord, comparons le comparable...

Le Dessin Assisté par Ordinateur (DAO : prononcer le DAO et non la DAO comme on peut souvent l'entendre), est la principale caractéristique qui réunit ces deux logiciels. En effet, Illustrator comme Autocad sont tous deux des logiciels de dessin vectoriel...qui s'appuie sur le vecteur comme unité de dessins. Pour mieux comprendre, on met souvent en opposition l'image vectorielle constituée de vecteurs (comme un plan par exemple) et l'image matricielle constituée de pixels (comme une photographie)...

Donc le DAO réuni ces deux logiciels, car on y dessine, mesure, superpose, on ordonne par calques et sous calques, et on colorise (hachure, ligne...) enfin le texte pour les deux univers a également une place de choix...mais on va s’arrêter là pour la comparaison, car on arrive vite au bout ... et puis au final je ne suis pas sûr qu'on puisse raisonnablement comparer les deux logiciels tant leurs objectifs sont éloignés. Le seul argument qui pourrait aller dans le sens de la comparaison est simple : il est possible de faire du dessin vectoriel dans les deux logiciels et dans une certaine mesure il est possible de convertir les dessins d'un logiciel vers l'autre.

Mais qu'a donc Illustrator de plus que les autres...

Illustrator permet avant toute chose, un dessin très proche de nos "illustres" mises au net à l'encre, si proche que l'on garde encore le terme "mise au net" lorsque l'on parle d'une vectorisation sur Illustrator. L'atout d'Illustrator réside alors dans cette proximité avec le dessin manuel, notamment grâce à l'invention de l'ingénieur français Bézier et sa courbe, dans les années 50, fondée sur la linéarité de l'espace euclidien et la théorie, déjà existante, du barycentre...tout un programme !

Par ailleurs, Illustrator fait partie d'un environnement de logiciels...la suite Adobe !

Et oui, c'est un atout réel (et marketing) qu'ils mettent en avant. Photoshop, Illustrator, Adobe Acrobate Pro, Indesign, Flash....et tant d'autres s'inscrivent dans un environnement rondement mené par Adobe qui interagissent entre eux. Désormais la suite Adobe permet d'informatiser la quasi-totalité de nos enregistrements de fouilles, la photo, le dessin, l'écrit, les bases de données, les films, les rapports, le montage des rapports, la gestion des archives, enfin bref presque tout ! Donc oui la suite Adobe est véritablement un outil presque indispensable dans la mallette numérique et Illustrator est en la tête de gondole (TG)!

Quels risques prenons-nous a mettre tous nos œufs dans le même panier ? Est-ce vraiment judicieux de laisser la totalité de nos archives sous des formats propriétaires, dans des versions sans cesse évoluées et incompatibles aux fils des années ?

Non, certainement pas ! Et il peut être bon de changer sa pioche d'épaule, d'aller butiner à l'occasion dans des logiciels différents dans du libre ou non, mais les risques sont toujours là, l'incompatibilité et l'obsolescence. La seule réponse pour moi aujourd'hui est de choisir un logiciel dont la pérennité est la plus grande, tout en essayant de conserver ses données dans des formats simples et interchangeables. Enfin pour conclure sur Illustrator, il n'existe pas, à ma connaissance, de logiciel comparable dans le monde du libre, certes il existe des logiciels vectoriels qui utilisent des formats non propriétaires, comme Inkscape, Xara Xtreme ou Sodipodi mais les résultats sont assez loin d'Illustrator et l'intégration sous d'autres logiciels se fait au détriment de certaines propriétés, c'est à dire qui si vous faites un beau dessin avec une belle mise en couleur dans une belle mise en page, le simple fait de l'importer dans un autre logiciel, de montage par exemple, vous fait perdre une partie de votre travail !

Mais a quoi sert Autocad dans tout ça alors ?

Et bien à rien de tout ça justement ! Autocad n'est pas un logiciel de dessin à proprement parler, ou plutôt n'est pas un logiciel de dessin comme l'archéologue l'entend, c'est-à-dire, un logiciel qui remplacerait le dessin manuel ! Autocad est une autre façon de voir le dessin archéologique, c'est un dessin en connexion avec son environnement ! Si Illustrator vous permet de dessiner presque aussi bien que ne le fait la main, il vous enferme dans une page en 2D, et déconnecte l'objet de l'environnement spatial dans lequel il se trouvait ! Certes il n'est pas toujours utile de conserver l'environnement autour de son objet mais il parait évident de ne pas l'ignorer quand on peut le conserver ! Et bien Autocad, c'est ça.

Aujourd'hui, les archéologues s'indignent face aux pilleurs de sols archéologiques que sont les détectoristes, pourquoi ? Et bien justement à cause de la déconnexion provoquée par ces pilleurs, entre les objets découverts et leurs environnements stratigraphiques, l'objet perd de fait toute sa valeur archéologique et par la même occasion, la stratigraphie dans laquelle se trouvait l'objet perd à son tour une valeur inestimable étant déconnectée de son objet !

Et bien pour moi, la déconnexion provoquée par l'illustration vectorisé sur Adobe est à l'image des celle provoqué par ces pillages. On ne peut pas conserver comme seule visuel de l'objet, cette déconnexion, il faut pouvoir l'archiver dans son contexte spatiale, et non pas seulement par un point en xyz, mais comme objet à part entière. Autocad, permet donc, de conserver ces connexions spatiales tout en conservant sa structure, sa forme, comme on peut le voir sur un dessin traditionnel !
Encore une fois, l'utilité n'est plus à démontrer, que ça soit pour de l'archéologie préhistorique ou l'archéologie du bâti médiéval, l'étude et l'archivage en contexte spatial est indispensable.

Autocad permet à la fois un dessin vectorisé et une mise en situation tridimensionnelle, il permet également la mise en connexion par SIG à une masse d'informations graphiques et textuelles non négligeable en terme d'étude et de compréhension du milieu.

Malheureusement, tout comme Illustrator, Autocad est logiciel au format propriétaire, qui évoluent sans cesse augmentant l’obsolescence des produits , mais là encore, il est toujours utile de conserver ses données dans des formats d'échanges simples (dxf, jpeg, tiff, eps...)

Enfin pour conclure, et répondre aux questions posées, il n'est pas plus utile d'abandonner un logiciel au profit de l'autre, les deux sont extrêmement indispensables, ils se complètent,  et ils doivent être présents dans l'ordinateur de l'archéologue, certes les spécialistes se tourneront vers tel ou tel logiciel mais une bonne connaissance des deux est aujourd'hui souhaitable ! Comment se diriger vers l'un plus que vers l'autre ?  Votre affinité à la chose informatique...car si Illustrator semble plus simple et facile d'accès (ce qui n'est pas forcément vrai), Autocad est dès la première prise en main difficile d'accès, de compréhension et d'imagination...

Ce n'est, je pense, pas la faute du logiciel, mais plutôt dû à notre manière de penser ou notre enseignement et nos études cartésiennes et bidimensionnelles ne nous ont jamais habituées au travail dans l'espace et à l'interconnexion...